Les avantages et les inconvénients sur la dot chez le peuple Gouro

Madeleine Kouassi

24 novembre 2020

La dot sanctionne essentiellement les rapports de paternité présents ou à venir qui s’établissent entre le mari et les enfants de son épouse. En principe, et ce principe est général et respecté, le père d’un enfant est celui qui a versé la dot pour la mère de cet enfant. L. Tauxier, le coutumier Gouro de 1933, la jurisprudence du tribunal coutumier de Bouaflé sont tous d’accord sur ce point qui a été confirmé par nos propres enquêtes.

Un enfant né d’une femme non dotée sera donc revendiqué par sa famille maternelle et élevé par le frère de sa mère. La dot est donc associée au régime patrilinéaire et, inversement, son absence introduit les conditions du matrilignage.

Ainsi, les N’Goï, qui émigrèrent du pays Baoulé, abandonnèrent le système matrilinéaire en adoptant la coutume de la dot, ce par quoi, disent-ils, ils devinrent des Gouro. Désormais, quand ils épousent une femme baoulé, ils versent la dot pour « garder les enfants » tandis qu’un Baoulé épousant une femme gouro se plie à la même coutume et acquiert la paternité de sa progéniture;

2. Cette relation entre dot et filiation paternelle commande les rapports matrimoniaux sous leurs divers aspects.

Un homme peut donner une femme à marier sans dot afin de garder les enfants dans son lignage. Nous en avons donné un exemple à propos du regroupement de Dhéra (Tianou). Le divorce, qui est fréquent, se règle selon le même principe. Si la femme quitte son mari avant d’avoir eu des enfants, le nouvel époux — car en général une femme ne divorce que pour se remarier — doit rembourser au premier la totalité des versements que celui-ci a faits à sa belle-famille. Il ne rembourse d’ailleurs que l’intégralité de cette somme sans y ajouter un surplus quelconque. Si la femme a déjà eu un ou plusieurs enfants, ceux-ci demeureront avec leur père, à moins qu’il n’exige le remboursement de la dot, auquel cas ils reviendront soit à la famille de la femme, si c’est celle-ci qui a procédé au remboursement, soit au nouveau mari. Lorsqu’une femme meurt sans enfants, ses parents sont tenus de proposer au veuf une autre épouse — une femme qui n’a pas encore été mariée. Si elle en était incapable, la dot serait reversée intégralement. Si, par contre, la femme meurt en laissant une progéniture, le mari peut en garder la paternité, mais il ne peut plus exiger le remboursement de la dot. Le montant versé correspondra alors à la durée réelle et effective du mariage. Enfin, tous les enfants d’une femme qui, ayant quitté son mari, vit avec un autre homme, seront considérés comme étant ceux du premier mari tant que la dot n’aura pas été remboursée par le nouvel époux.

Les affaires de remboursement de dot, qui sont en réalité des affaires de dévolution de paternité, sont l’essentiel des procès qui ont lieu entre Gouro, car si les principes sont généralement admis, la codification de leur application est pratiquement inexistante. Chaque cas redevient un cas particulier.

A côté du régime dotal, qui représente l’institutionnalisation des rapports matrimoniaux, il existait une situation de fait qui était l’enlèvement des femmes, ou, en d’autres termes, le mariage patrilinéaire mais sans dot. Ces enlèvements avaient heu parfois au sein d’une collectivité ou d’une alliance politique, comme le village ou la tribu, ou entre tribus alliées ; auquel cas, ils étaient régularisés après débats, soit par le versement de la dot, soit par le retour de la femme auprès de sa famille ou de son époux. Si l’enlèvement avait heu entre groupes non alliés, il était le signal d’une guerre.

4. Quand l’issue de la guerre n’était pas décisive, et si la femme demeurée auprès de son ravisseur mettait un enfant au monde, cette naissance était l’occasion d’une nouvelle guerre. Tout ce qui précède montre que la dot, en étant associée à la filiation paternelle, est également liée à la fécondité de la femme. Le processus dure à peu près tout le temps de la période féconde de l’épouse. Les Gouro disent en général que les versements ne se terminent qu’à la mort des parents de celle-ci. Les différents moments de ces versements sont demeurés aujourd’hui les mêmes que du temps des anciens. Leur contenu par contre s’est considérablement modifié. La monnaie européenne s’est substituée aux bro et représente maintenant la quasi-totalité de la dot. Les ivoires, les esclaves, l’or, les fusils ont disparu. Le petit bétail remplace le gros et les pagnes tendent eux aussi à disparaître. On sollicitait autrefois la jeune fille en remettant cinq à dix paquets de bro et quelques pagnes à son gardien, le doyen de la communauté de la fiancée, ainsi qu’un cabri et d’autres variétés de pagnes (comme par exemple le dâgo) à la mère.

Lorsque la demande était agréée, le futur époux était tenu de fournir quelques journées de travail sur les champs de la communauté de sa belle-famille en répondant au bo. Si le fiancé était déjà chef de famille, il y envoyait quelques-uns de ses dépendants. S’il s’agissait d’un jeune homme, il accomplissait lui-même ces travaux en se faisant accompagner de ses amis, et plus il était capable d’entraîner de monde sur les champs de son futur beau-père, plus il était apprécié. Pour obtenir le droit de vivre avec la femme, il fallait encore remettre un ou deux bœufs ou, à défaut, du petit bétail. On pouvait encore faire quelques cadeaux à l’occasion de la naissance du premier enfant (par exemple cinq dāgo, un cabri, un sofrolo, un kamatie), mais ceci n’était pas partout la coutume. Lors de différents événements survenant dans le lignage allié, le mari devait remettre de nouveaux présents sur lesquels on s’était parfois entendu au préalable. L’époux était libre d’ajouter quelques cadeaux aux versements convenus, s’il était particulièrement satisfait de ses rapports avec sa femme et ses alliés, ou s’il désirait manifester son opulence et sa munificence.

Ces occasions étaient surtout les funérailles d’un des membres de la communauté de l’épouse, dans une moindre mesure, la maladie d’un de ses parents, le mariage des neveux maternels, auxquels l’oncle remettait quelques éléments de la dot, ou leur accession à un statut supérieur, etc. Lors des funérailles, par exemple, l’époux apportait autrefois comme présent de l’or, de nouveaux pagnes, un esclave ou un fusil, de la poudre, des objets d’ivoire et divers produits appréciés comme le sel. Aujourd’hui, il apporte presque exclusivement de l’argent. En définitive, le montant de ces présents variait beaucoup en fonction du statut social de l’époux, donc de sa richesse. Un homme de condition inférieure pouvait se trouver dans l’incapacité de remettre certains de ces présents. Ce pouvait être le cas d’un nouveau venu, étranger au village. On prévoyait dans ces cas des prestations de travail susceptibles de durer plusieurs années. L’époux cultivait les champs de la communauté de sa femme, offrait du gibier ou le produit de sa pêche, abattait et saignait les palmiers, etc. Il devenait l’obligé de son beau-père. Mais quel que fût son rang, il était toujours tenu, affirme-t-on, de fournir de 50 à 200 bro, 4 ou 5 pagnes et du petit bétail lors de sa demande, et d’autres cadeaux importants à l’occasion des funérailles. L’incapacité de remplir ces obligations entraînait généralement le divorce. L’épouse, retournée dans son village à l’occasion d’un décès ou de la maladie d’un de ses parents, y demeurait jusqu’à ce que le mari soit venu faire les cadeaux d’usage en quantité suffisante. S’il tardait, on lui envoyait un émissaire pour le rappeler à ses devoirs, et s’il tardait trop, on considérait le mariage comme rompu et l’on cherchait un autre époux pour la femme.

Dans ces conditions, on dit que l’homme pauvre, celui qui n’a pas de biens ni de protecteur capable de verser pour lui la dot, ne pouvait être marié. Tous les versements de la dot sont très précisément mémorisés, et certains en tiennent aujourd’hui le compte par écrit, tout au moins tout le temps que les rapports de filiation risquent d’être remis en cause par un divorce et qu’un remboursement demeure exigible. Ces restitutions sont parfois très tardives et la filiation définitive d’un individu peut n’être réglée que plusieurs dizaines d’années après sa naissance.

A Bazré par exemple, Kaku bi Libue qui était recensé en 1955 dans le goniwuo de Diazramô, retourna en 1958 dans celui de Grizramô après que la dot de sa mère fut versée aux trois aînés de Diazramô. Libue avait alors près de 40 ans.

De ce qui précède, deux caractéristiques de la dot se dégagent : la dot traditionnelle est toujours composée de plusieurs biens et ces biens sont très précisément ceux que l’on cite comme composant la richesse des aînés ; la dot, par son importance comme par sa composition, est hors de portée des individus dépendants, tenus par leur statut de remettre le produit de leur travail à leur aîné. Ces derniers sont donc les seuls capables d’engager des rapports matrimoniaux. La possession des richesses leur permet de se marier eux-mêmes et d’avoir plusieurs épouses. Les autres dépendent d’eux pour obtenir femme. Là réside la principale source d’autorité des anciens. Les hommes qui travaillent pour l’aîné sont aussi ceux pour qui il doit verser la dot (à Bazré on appelle parfois le groupe de parenté restreint anefend : ceux que je dote).

Les obligations de travail occasionnelles que nous avons examinées précédemment s’accompagnent aussi d’une contribution du bénéficiaire à la dot. Pour se marier, le jeune homme devra donc avoir recours en premier lieu à son aîné, et accessoirement à ceux de ses parents vis-à-vis desquels il aura des obligations de travail. Il ne pourra fournir lui-même que les prestations de travail exigées par ses futurs beaux-parents et parfois un pagne qu’il aura tissé avec l’écheveau filé et donné par sa mère ou une sœur. Par le truchement de la dot, qui établit les rapports de filiation et de dépendance, la richesse se trouve être ainsi l’agent nécessaire à l’établissement des relations sociales fondamentales.

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